Blog 08. Juni 2015

"Je suis homme, je suis un combattant des droits humains"

Wiltraud von der Ruhr, le pasteur Dr. Jean-Blaise Kenmogne, Selmin Çalışkan et Steven Cockburn à Douala

Du 12 au 19 mars, une délégation internationale d’Amnesty International a visité le Cameroun. L’objectif de la délégation – dont faisait partie la Secrétaire Générale de la section allemande, Selmin Çalışkan – était de s’informer davantage sur la situation inquiétante des lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres (LGBT) dans ce pays africain.

En effet, l’article 347 bis du code pénal camerounais dispose qu’est "punie d’un emprisonnement de six mois à cinq ans … toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe." Pire encore, il suffit souvent que la justice présume qu’une personne fasse partie de la communauté LGBT pour qu’elle soit emprisonnée et condamnée. Aussi, l’article 347 bis contribue largement à l’atmosphère agressive vis-à-vis des LGBT au Cameroun.



Les Eglises camerounaises, elles-aussi, rejettent toute relation entre personnes du même sexe comme péché. Souvent, la violence ouverte contre les LGBT au Cameroun ne provoque même pas le moindre commentaire de la part des représentants religieux.



Pourtant, il y a des exceptions. Comme le Pasteur Dr. Jean-Blaise Kenmogne qui, à l’occasion des "journées de l’Eglise" protestante en Allemagne, a accepté de répondre à nos questions.

Amnesty International: Révérend Kenmogne, vous avez décrit l’acceptation des droits de la communauté LGBT comme un "tournant de civilisation" que personne ne saura arrêter. Que voulez-vous dire par là?



Dr. Jean-Blaise Kenmogne: Il y a des moments dans l’histoire humaine qui sont vraiment des tournants. Ils changent les manières de penser, de vivre et d’agir. Ils constituent des sauts où l’on se rend compte que les choses ne sont plus les mêmes qu’avant. Certains personnages les incarnent. Certains événements aussi. Je pense à Jésus, Bouddha et Mohamed; à Socrate, Descartes et Marx; à Copernic et Einstein. Quant aux événements, la révolution française et la révolution américaine ont fait accoucher une nouvelle conscience à l’humanité. A plus petite échelle, le printemps arabe et la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso ont fait surgir de nouveaux espoirs qui sont comme de grands espoirs de civilisation, c’est-à-dire d’enrichissement de l’être humain dans sa vision de son être authentique à l’échelle des valeurs éthiques.



La question des droits de la communauté LGBT est du même ordre: un nouveau monde émergera qui cassera avec des archaïsmes destructeurs pour voir l’homme dans son authenticité, y inclus au sein des Eglises. Et je suis heureux de participer, à ma modeste échelle, à cette grande espérance.

Anika Becher et Selin Çalışkan écoutent les explications du pasteur protestant Kenmogne qui, comme peu d’autres, lutte contre la discrimination et violence contre les LGBT au Cameroun.

Amnesty: Etant donné le rôle et le comportement actuels des Eglises au Cameroun, le changement que vous décrivez est loin d’être atteint. Si vous dites que l’acceptation des droits LGBT est inévitable, êtes-vous véritablement confiant que les Eglises seront capables d’adapter leur position traditionnellement déclinatoire vis-à-vis des LGBT et de l’homosexualité?



Kenmogne: Je comprends votre scepticisme. Dans l’histoire des Eglises, on a vu l’aveuglement les pousser à refuser les progrès évidents de la science moderne. On a vu les autorités ecclésiales résister au souffle de la question des droits humains. Elles se sont tellement fourvoyées sur des grands enjeux d’humanité qu’on ne devrait pas s’étonner qu’elles se trompent encore sur l’émergence de la communauté LGBT comme force de transformation du monde.



Mais il ne faut pas désespérer: la destinée humaine a toujours fini par prendre le dessus. Le centre de la révélation biblique n’est pas une certaine image de la famille ni la reproduction. Jésus n’a pas laissé d’enfant. Et quid du célibat? L’essence même de l’Ecriture sainte, c’est l’amour. Ce n’est pas sur l’orientation sexuelle que nous serons jugés, mais sur la force d’aimer, comme dirait Martin Luther King, sur notre pouvoir d’être sensibles aux plus petits et aux laissés-pour-compte. Une Eglise qui refuse cette lecture de la bible se retrouvera, in fine, du mauvais côté de la destinée humaine.



Je fais donc mienne la question de sa sainteté le pape François: "qui suis-je pour juger les homosexuels?" En effet, je vois dans le pape François un de ces prophètes des temps actuels qui fera bouger les lignes de l’Eglise sur la question de l’orientation sexuelle dans nos sociétés. D’autres surgiront et les Eglises se convertiront à l’authenticité de l’humain. Il est vrai: Au Cameroun comme partout en Afrique, on est encore dans l’ouragan des débats catastrophiques. Mais nul ne pourra résister à la brise de la vérité quand le moment sera venu pour cette brise de souffler. C’est mon espoir. C’est ma prière. C’est ma conviction la plus profonde.



Amnesty: Dans vos livres, vous parlez d’un nombre de malentendus et de préjugés qui règneraient au sein de la société camerounaise quant à l’homosexualité. De quoi s’agit-il?



Kenmogne: Il y a au Cameroun une "sexualité de domination": les puissants de la société obligent les faibles – et surtout les jeunes, qui se trouvent au début de leur développement personnel et sont en quête d’avenir professionnel – à se prostituer à eux. Le public camerounais est choqué, à juste titre, par ce type de pratiques sociales, d’autant plus que des actes homosexuels deviennent public.



Il y a aussi l’homosexualité de type "m’as-tu vu" pour choquer la société et s’affirmer comme différent, quand bien même on ne serait pas vraiment homosexuel. En conséquence, une grande majorité de mes compatriotes associe l’homosexualité aux abus de pouvoir, à une sorte de prosternation ou à la fanfaronnade.



Mais le grand public ne saisit pas le véritable amour, qui peut régner aussi bien entre homme et femme qu’au sein d’une relation du même sexe. Je parle de "l’homosexualité d’identité" qui est le fond authentique de la personne et qui se vit en toute vérité. C’est pourquoi je continue à expliquer aux gens que cette homosexualité identitaire fait partie de l’authenticité humaine et qu’elle ne mérite qu’une chose: d’être reconnu par la société.



Vous savez, l’Evangile nous convie au bonheur de vivre et d’aimer. De même, être homme, c’est être relié aux autres hommes. Aussi, on ne peut pas être un activiste des droits humains et rester inactif quand ces droits sont manifestement bafoués. Je dis cela pour une simple raison: je suis homme, je suis un combattant des droits humains, et je suis chrétien. Trois leviers, donc, pour rêver d’un autre monde possible, mais surtout: trois raisons de lutter pour son avènement et d’accompagner mes prochains, y inclus les Eglises, sur ce chemin vers une société du bonheur partagé.

Interview: Raphael Kreusch

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